Revue de presse Haiku sortie 1999 (Trema) les Inrocks magazine n 215 , page 48 Les trublions francais Dionysos reviennent de San Francisco avec un album peigne et au poil, Haiku. Ou ces betes de scene a la plume dans le QI continuent d'etre desinvoltes, d'avoir l'air de rien. Mathias Malzieu, chanteur de Dionysos, declare : "J'ai envie, en me levant le matin, de continuer a prendre ma guitare folk en me disant que c'est ce qu'il y a de plus important a faire dans la journee : composer un morceau." Et l'auditeur ajoute : le genre de morceau pop simple et sucre, parfait pour siffloter sous la douche, qui donne envie de se lever et de se laver le matin. Avant Haiku, des morceaux de ce genre, faits a la maison pour la maison, petits plaisirs domestiques qui rendent la vie plus legere, Dionysos en avait deja rempli deux albums dans un anonymat tres relatif - tout pres de son public mais loin des bruits de couloir des maisons de disques ou des medias en vue. Dote d'un patronyme pas facile tous les jours - ca fait un peu groupe de hard-rock, on ne sait jamais ou mettre le "y" - Dionysos a d'abord ete juge sur ses disques et ses concerts. Ses disques : des collections de chansonnettes lo-fi uniques en France, sans queue ni tete mais au c?ur bien en vue. Ses concerts : le premier, un set de sept titres apres trois semaines de repetitions, eut lieu il y a tout juste cinq ans, dans la salle du Cafe de la Paix de Valence, bourgade sans doute charmante des bords du Rhone ou le quintette vit le jour. "On avait des petits amplis poses sur des chaises, il n'y avait pas de scene, la serveuse passait avec son plateau. C'etait un concert pour les copains, mais l'adrenaline etait la et elle y est toujours. Ce moment-la m'a vraiment donne envie de continuer." Cinq ans plus tard, l'office du tourisme, le syndicat des producteurs de vin et la chambre de commerce remercient Dionysos pour avoir inscrit Valence, chef-lieu de la Drome, sur la carte de France du rock. Valence est tres loin de Paris. Plus pres dans l'esprit du Beziers de Sloy, avec qui Dionysos partage une fraicheur scenique, une capacite d'emerveillement et un volontarisme enviables. "Des le debut, on avait pour nous une capacite de reve enorme. Quand on faisait nos repetes le samedi apres-midi, on avait une envie viscerale qui s'est maintenue. On ne savait pas si ca allait marcher, mais on a toujours eu envie de faire plus... Des groupes qu'on a cotoyes entretiennent un peu le culte du loser. Nous, on revait, on avait envie de faire des bornes en camion, on etait gaves de films de Jarmusch et Kusturica, avec Leonard Cohen et Sonic Youth de l'autre cote..." Quelques minutes de conversation plus tard, Mathias aura lache les noms sesames - Pixies, Pavement, Beck, Velvet, Leadbelly, Nick Cave -, qui expliquent un peu pourquoi les disques de Dionysos avaient si bien su se lover dans une discotheque d'americanophile. Au niveau litteral des influences, on aura par le passe surtout retenu Beck, dont le farfelu et debride Stereopathetic soulmanure aurait pu faire office de berceau pour les premiers vagissements de Dionysos. Et comme le blondinet stakhanoviste, comme Pavement ou Guided By Voices, Dionysos a vire sa cuti lo-fi. Haiku a ete enregistre a San Francisco, un ?il sur la devanture de la librairie City Lights, avec un vrai producteur et de vrais instruments. Avec Haiku, Dionysos met les points sur le "i" : "On ne voulait pas faire de la lo-fi pour le principe. La lo-fi est un etat d'esprit, pas un label de qualite. Ce n'est pas parce qu'un morceau est enregistre sur un 4-pistes que la chanson sera bonne. On avait des envies musicales. Sur certains morceaux, j'entendais des cordes et une batterie electronique. Ca, on ne peut pas le faire en huit jours avec une toute petite structure. On ne voulait pas perdre le cote ludique de notre musique, mais renforcer le tout." Au final, nippon ni mauvais, Haiku ressemble a un album de Dionysos bien enregistre, ou l'on gagne en fluidite et en lisibilite ce que l'on perd en farfelu foutoir (bon, il y a quand meme le pistolet laser d'un batteur qui a failli s'appeler Eric Serra). Un vrai disque qui commence par laisser perplexe (certains titres un peu trop ranges, boostes par la production), avant que ses refrains pop (45 tours, Pyjama) n'emportent toutes nos reticences. Un disque qu'on aimera pour la dynamique de ses chansons et pour ses textes toujours au plus pres de l'os. "Je n'ai jamais mange de pyjama aussi doux que le tien", chante Mathias sur Pyjama - c'est d'ailleurs l'unique propos de la chanson. Sur Lune bulle, dans le camp de ceux qui ont toujours su que le Coca-Cola etait une drogue hallucinogene : "La nuit est un Coca-Cola, avec la lune comme unique bulle." Sur Coccinelle : "Je sais que j'ecris mal, mais j'imagine tres bien l'ombre de nos cils flotter tranquillement sous l'arc-en-ciel de nos dents." C'est le principal. "Le c?ur est un 45 tours raye", chante Dionysos. Avec en face A, Haiku, album savoureux a consommer sur place, plein de chansons douces-ameres et d'exquis mots. Et en face B, des convictions : "Je suis tres touche par des gens comme Brel ou Barbara, tres forts au niveau emotionnel, genereux, directs, tres personnels mais pas consensuels. Quand je vois des videos de Brel ou Barbara sur scene, je les trouve beaucoup plus violents et dangereux que des groupes de hardcore. Ils s'exposent. Ca peut rencontrer Smog, Palace ou Nick Cave. Meme si ces gens n'ont rien a voir musicalement, les transpositions sont possibles parce qu'ils ont en commun une mise a nu, une prise de risques, une vraie identite, un vrai don. Meme si on a conscience de faire une musique qui n'est pas a la portee de tous, on n'a pas de plaisir elitiste, aucun plaisir a la distance. Le but est vraiment d'inviter les gens a partager quelque chose. Cela dit, on a horreur de la musique consensuelle, du cote pseudo-baba cool demago et superficiel. On revendique le fait d'etre individualiste et de faire une musique personnelle. Notre but est d'etre le plus personnel et le plus genereux possible, sans etre consensuel." Ainsi, a un concert de Dionysos - spectacle conseille -, personne ne vous obligera jamais a taper dans vos mains, a boire de la biere dans un gobelet en plastique ou a crier "rock'n'roll !". C'est toutes seules que vos jambes se mettront a faire de droles de pirouettes pour suivre celles du chanteur, pendant qu'un sourire beat viendra se poser sur votre figure. Mais pour la biere, il faut voir : dans la mythologie, il est dit que les adorateurs de Dionysos, qui apporte la joie et libere des soucis, entrent en contact avec leur divinite au moyen de l'ivresse. Et qu'importe le flacon. Stephane Deschamps 20 oct. 1999 Revue de presse